Suis en verve de copier-coller
Bref point de vue sur l'automne social 2010, en Bretagne, période qui mérite de bien plus longues analyses.
La séquence bretonne du fort mouvement social contre la réforme des retraites n'a pas fait exception sur les traits essentiels de ce mouvement: fortes manifestations renouvelées par un cadre unitaire solide et des modalités permettant une participation "à la carte" d'un nombre significatifs de citoyens. Parmi les traits les plus surprenants, le nombre de manifestations, l'ancrage populaire, les formes de mobilisation et la participation des jeunes retiennent le plus l'attention. Par contre, l'intensité modérée du mouvement gréviste dans la fonction publique interroge.
Des manifestations partout
Certes les plus gros cortèges étaient dans les grandes villes (Rennes, Brest,Lorient) mais le mouvement s'est, aussi, durablement installé dans les villes moyennes (Saint-Brieuc, Guingamp, Redon,Quimper, Morlaix...). Plus étonnant, plusieurs îles ont connu des manifestations à répétition: Île de Batz, Île d'Ouessant, Belle-Île, de Groix...Des terres plus de "prêtres" que "de luttes" ont vu des citoyens s'organiser pour manifester, le cas le plus emblématique est celui de Ploërmel rassemblant 1 200 personnes. Des manifestations non programmées par l'intersyndicale se sont spontanément tenues comme ce fut le cas à Carhaix. Ces constats ne sont pas anecdotiques, ils montrent que si l'intersyndicale a donné le cadre, des citoyens ont pu s'auto-organiser pour participer au mouvement. La répétition a permis, aussi,la conjugaison de l'action avec les contraintes familiales, de nombreuses personnes programmant la garde des enfants et leurs courses en fonction des heures de manifs au point que le "rituel" a conduit certains à se présenter sur les lieux de rassemblement des jours...sans manif.
Des formes de manifestations originales
Les manifestations étaient joyeuses, inventives, conviviales et, même, les samedis familiales. Cela n'a pas empêché, à Lorient,, des confrontations extrêmement vives avec la police, une manifestation a été "gazée" sans, pour autant, entamer la détermination des manifestants. Saint-Brieuc a connu de véritables AG interprofessionnelles. Un chapiteau baptisé "nouvelle Maison du peuple" a été monté au milieu de la ville pour "compenser" la fermeture de la "vraie" Maison du peuple. A l'initiative de la CGT, de la FSU, de l'Unsa et de Solidaires, chaque soir, des salariés et retraités se retrouvaient, pendant une heure ou deux, pour répondre à une seule question: "qu'est-ce qu'on fait demain ?". Ainsi,ont été organisées des diffusions de tracts et des opérations "blocage" comme dans les zones commerciales de Langueux et de Lamballe. Les territoriaux en grève reconductible ont été, avec les cheminots, les moteurs de ces initiatives. dans d'autres villes de la région des opérations de ce type ont, aussi, été organisées.
La participation des lycéens
Début septembre, les organisation lycéennes et étudiantes ont dit leur espoir de voir les jeunes s'engager dans le mouvement sur les retraites; dans les faits, ce sont surtout les lycéens qui y ont participé. L'engagement des lycéens traduit, certes, leur inquiétude pour l'avenir mais ils ont, aussi, souhaité exprimer leur colère face au déni dematurité professé par le gouvernement ou par certains adultes. Le potentiel de valeurs solidaires qui les a motivé est toujours là et tout indique qu'il peut de nouveau se réveiller.
Intensité modérée du mouvement gréviste dans la fonction publique
La participation des agents des fonctions publiques au mouvement de grève a été identique à celle d'autres secteurs, c'est à dire, beaucoup plus faible que lors des mouvements antérieurs. L'engagement dans les manifestations s'est fait "à la carte", comme pour les autres professions, mais compte tenu du niveau de syndicalisation, il s'agit là d'une déception. Jean Marie Pernot, chercheur à l'IRES et spécialiste du syndicalisme, fait l'hypothèse d'un "effet sidération" conséquence de l'ampleur des coups reçus par les fonctionnaires. Effectivement, dans les lycées, par exemple, la mise en place del'"accompagnement personnalisé" conjuguée à l'arrivée des néo-recrutés non formés a focalisé l'esprit des enseignants laissant moins d'espace disponible pour d'autres problématiques sociales. D'ailleurs dans les AG des lycées, pendant le mouvement, les questions liées aux contraintes professionnelles étaient plus centrales, dans les débats, que l'enjeu des retraites.
Exprimer sa colère et avoir chaud ensemble
Beaucoup savait que la probabilité de gagner sur le retrait du projet de loi était faible, pourtant, pendant toute cette période, les manifestations n'ont pas faibli car ce mouvement, au-delà de l'objectif pratique portant sur la retraite à 60 ans, exprimait une profonde colère contre les inégalités et la crise morale et politique. Beaucoup ont voulu, aussi, éprouver physiquement la solidarité dans le "côte à côte" des manifestations comme si celles-ci "ré-enchantaient" le monde.
Jean Luc Le Guellec