La nuit c'est comme le jour, sauf qu'il fait noir
J'avais une trouille bleu nuit du noir.
Toutes lumières allumées dès que le crépuscule visitait la terre.
Me réveillant dans le noir je partais me réfugier dans le lit de mon frère.
Quand il était là.
Quand j'étais là.
Tremblant de peur.
Suant d'angoisse.
Je savais juste qu'au bout du parcours infâme se trouvait la paix.
Dans ce petit village sis au milieu de rien.
Entouré des terres de Madame Tom Patenôtre.
Députée maire de Rambouillet il me semble.
Pas loin de Pinceloup.
Château rempli d'orphelins.
De l'assistance publique.
Qui est devenu ce haut lieu du football.
Des mômes abandonnés à des escrocs du ballon rond.
Drôle de destinée.
Donc j'avais peur.
Plus que peur.
Des angoisses qui me grignotaient inlassablement.
Près de ce village il y avait un lavoir.
Derrière l'église un chemin.
Même pas, un sentier.
Nous l'empruntions pour aller aux glacières.
Beaux restes de l'empire romain.
Creusées dans la terre.
Un dôme de pierre.
Il y en avait trois.
Nous y palabrions pendant des heures.
Fumant des barbes de maïs roulées dans du journal.
Des P4 les jours de richesse.
Jeunesse se passait.
Entre bêtises, rires idiots et réflexions métaphysiques.
Et voila, j'eus une idée bien trop grande pour moi.
Je décidai d'un défi.
Entre moi et moi.
D'une guérison.
D'un exploit dont je garderai le secret.
Ce soir là, la nuit venue.
Je suis sur mon vélo, au début du sentier.
La cloche sonne huit coups.
Nuit noire.
Encore plus que jamais.
J'appuie sur les pédales et me voici lancée.
Je voudrais fuser comme un météore.
J'avance comme une limace.
Des heures, me semble-t-il, plus tard.
Pinceloup.
Là je prends une route.
Reviens vers mon village.
Une grande boucle.
Je n'ai plus une fibre de sèche.
Je clapote des dents.
Mes larmes coulent en déluge.
J'ai des crampes dans la jambe gauche.
C'est elle qui fournit la puissance.
La droite fait de la figuration.
Je passe devant le lavoir.
Celui ou en plein jour on se baigne.
Ou les lavandières viennent deux fois par semaine.
User leurs genoux dans leur caisse en bois.
Remplie de paille mais quand même.
Et frotte, et tape.
Travail d'esclave.
La côte.
Celle où parfois je mets pied à terre.
Poussant le vélo.
Mais là, pas question.
Si je descends de ce fichu vélo, je m'écroule.
Je meurs sur place.
Glacée de trouille.
Mes poumons vont péter.
Je leur demande trop.
Han, han, allez, lache pas.
Quelle idée j'ai eu là.
Quelle imbécile je suis.
Après tout c'est pas grave d'avoir peur.
Y'en a qui ont une frousse terrible des crapauds.
J'y arrive.
Le haut de la montée s'aplanit.
Mon coeur doit être à ...
Je ne sais pas combien.
Mais beaucoup.
Plus que ça.
Les rares lumières au loin.
Trois lampadaires sur la place.
Encore une côte.
Ce putain de bourg s'étire tout en longueur.
En descente d'un côté.
En montée de l'autre.
Evidemment.
J'en peux plus.
Je rentre dans la cour.
Je vais au cabanon.
Je mets pied à terre.
Mon corps ne m'obéit plus.
Je tremble.
Je hoquette.
Vélo remisé.
Allongée sur mon lit.
Tout dort dans la maison.
Je vois et revis mon parcours.
Une demi-heure de panique.
Mais je l'ai fait.
Personne ne le saura.
C'est mon secret.
J'ai réussi.
Boum, boum, boum...
On cogne à ma porte.
Ma soeur entre.
Les joues toutes rouges d'émotion.
Tu sais pas ?
Bin non, tu me réveilles, je sais pas...
ON A TUE CAROLE...
Quoi, on a tué Carole...
OUAIS, CETTE NUIT...
NOYEE DANS LE LAVOIR.
C'est derrière elle, Saint Georges, que partait le sentier de la gloire peur.